LP45 : Paramagnétisme, ferromagnétisme : approximation du champ moyen
Niveau : L3
Prérequis :
- Magnétostatique
- Facteur de Boltzmann
- Moment magnétique, cinétique orbital et spin de l’électron
Dans le cours de magnétostatique, nous étudions les champs
magnétiques générés par des courants électriques et leurs interactions
avec la matière aimantée. On associait aux milieux une quantité
vectorielle ,
l’aimantation, liée au champ magnétique
par
sans
en expliciter l’origine. C’est ce que nous allons faire dans cette
leçon.
Approche microscopique du magnétisme
Moment magnétique atomique [1]
C’est Paul Langevin qui, en 1905, introduit l’hypothèse selon laquelle l’aimantation de la matière est due à la contribution microscopique de chaque atome qui la compose, mais il n’en propose pas d’origine. Le modèle de Bohr (1913) et la mécanique quantique ont fait avancer l’idée de Langevin.
On rappelle que pour un électron dans atome, la projection du moment
cinétique total
(orbital
et
spin
) selon
un axe quelconque (ici
) est
un multiple entier ou demi-entier de
:
. Il
est lié au moment magnétique total
par le
facteur de Landé
et le
magnéton de Bohr
de
sorte que sa projection soit :
Le moment magnétique de l’atome correspond à la somme des moments magnétiques de chacun de ses électrons, il en va de même pour la projection. En particulier, dans une sous-couche électronique complète, où tous les électrons sont appareillés, en raison du principe d’exclusion de Pauli, la somme des moments magnétiques est nulle. Cela implique que :
- seuls les électrons de valence vont importer dans les calculs,
- les éléments dont toutes les sous-couches sont pleines ne sont pas magnétiques (cf [2] (p.94, chap. 3.1.6, table 3.1)).
Pour les espèces chimiques moléculaires (, , ) on regarde de la même
manière les nombres d’électrons appareillés ou non. Le cas d’étude le
plus simple est alors celui où il n’y a qu’un seul électron non
appareillé : .
Aimantation résultante
Dans ce cadre, l’aimantation
d’un
échantillon est une propriété intrinsèque du milieu et s’écrit :
De la physique statistique, il semble raisonnable d’avancer que pour
un milieu isolé de toutes interactions, mais soumis à l’agitation
thermique, et dans un modèle sans couplage, chaque atome va posséder un
moment magnétique
et
pour autant,
.
Paramagnétisme
L’adjectif paramagnétique désigne les milieux qui n’ont pas
aimantation naturelle, mais en acquièrent lorsqu’ils sont placés dans un
champ magnétique. L’énergie d’interaction entre un moment magnétique
et le
champ magnétique
est
donnée par le produit scalaire :
Nous verrons que cette énergie est à l’origine du paramagnétisme.
Aimantation en présence d’un champ [1]
Reprenons l’énergie potentielle d’interaction entre un moment
magnétique et un champ extérieur pour une particule de spin
:
Nous négligeons les interactions entre les différents électrons et
entre les différents atomes. De bons exemples de matériaux correspondant
à cette description sont les complexes du cuivre
. La
configuration électronique du cuivre étant
(exception à la règle de Hund), on s’attend en effet à un électron non
appareillé pour l’ion
avec
la configuration
.
Complexés, les ions de cuivre sont éloignés les un des autres par les
ligands de sorte que les interactions magnétiques entre eux soient
négligeables.
Chaque électron, associé à un atome et à ses nombres quantiques, est
discernable des autres électrons. La distribution de Maxwell-Boltzmann
donne alors la probabilité qu’un moment magnétique donné ait une énergie
:
on en déduit la valeur moyenne de
, et
donc
:
La dépendance en
nous
intéresse : les autres valeurs sont soit des constantes fondamentales
soit liées au milieu.
Le même calcul, avec une description classique du moment magnétique
aurait donné un résultat similaire, avec la fonction de Langevin :
; la
description classique sous estime la valeur de
.
\pyimgen{ferro_para_aimantation}
Champ fort, basse température
À
(
),
l’aimantation atteint une valeur de saturation :
elle est atteinte lorsque tous les moments magnétiques atomiques sont
orientés dans le même sens que
avec
. Cette
configuration correspond à la configuration d’énergie potentielle
minimale des spins dans le champ appliqué.
Champ faible, haute température
À , un
développement limité
(
) donne
:
on définit la susceptibilité magnétique :
qui se trouve être proportionnelle à l’inverse de la température. Le
résultat de proportionnalité a été annoncé par Pierre Curie déjà en 1885
suite à des observations expérimentales en magnétostatique. La constante
propre
à chaque milieu est appelée constante de Curie.
L’écriture rend
compte d’une compétition entre l’agitation thermique et l’alignement
magnétique. Notons que dans le cas des champs forts
n’a
pas d’intérêt. La susceptibilité magnétique donne, dans la matière, le
lien entre
,
et
:
Énergie et entropie [3]
Cette section présente peu d’intérêt si l’on ne discute pas la désaimantation adiabatique.
Puisque l’on prétend voir une compétition entre deux paramètres physiques vis-à-vis de l’orientation de l’ensemble des spins, l’expression de l’entropie du système pourra nous renseigner plus quantitativement. Pour la calculer, nous allons utiliser :
Énergie volumique
))
L’énergie volumique moyenne d’un échantillon est donnée par (nous
avons déjà fait ce calcul au préfacteur
près)
:
Énergie libre volumique
))
L’énergie libre volumique est :
Entropie volumique
D’où l’entropie volumique :
qui ne dépend que de
.
\pyimgen{ferro_para_entropie}
Le graphe montre que :
- à
,
tends vers
: ce qui est cohérent avec l’idée que, à température basse ou champ fort, tous les moments magnétiques pointent dans la même direction,
- à
,
tends vers un maximum : les moments magnétiques sont désordonnés.
\software{./python/ferro\_para\_anim.py}
Valeurs numériques et applications
Sonder les orbitales électroniques
Puisque tout notre travail repose sur l’hypothèse qu’il y a un seul électron non appareillé par atome dans le matériau considéré, un écart entre le modèle et l’expérience pourrait indiquer que notre hypothèse est mauvaise.
Dioxygène
La structure de Lewis du dioxygène ne prévoit aucun électron non appareillé. Pourtant, l’expérience montre que le dioxygène est paramagnétique. (Ce phénomène est bien modélisé par la théorie des orbitales moléculaires.)
Lanthanides
Pour d’autres ions que le cuivre
, on
observe un désaccord entre les constantes de Curie théoriques et
expérimentales, qui peut s’expliquer par des exceptions à la règle de
Hund.
Matériaux étudiés et courants
Pour l’eau, comme pour d’autres substances, la valeur de
est
négative. C’est le cas de tous les milieux dans lesquels tous les
électrons sont appareillés : on parle de milieux
diamagnétiques.
Refroidissement par désaimantation adiabatique
\pyimgen{desaimantation_adiabatique}
Ferromagnétisme
L’adjectif ferromagnétique désigne les matériaux qui ont une
aimantation naturelle. Dans le cadre de la description précédente, cela
revient à dire que, en fait,
et
donc, que l’orientation des moments magnétiques atomiques n’est pas
complètement aléatoire : le couplage n’est pas négligeable alors
comment le modéliser ?
Origine du couplage
L’interaction dipolaire est trop faible [1] [3] (III. J. I. 4)
La première hypothèse que nous pouvons faire est la suivante : « le
couplage est dû à l’interaction dipolaire entre les moments magnétiques
». Un calcul en ordre de grandeur permet de la vérifier : soient deux
moments dipolaires atomiques
et
distants de
l’énergie d’interaction entre les dipôles est :
Or le ferromagnétisme est observé à température ambiante.
Hamiltonien d’Heisenberg [3]
Pour modéliser l’interaction, Heisenberg propose une description simple : à chaque couple de moments magnétiques voisins il associe une énergie qui tend à les aligner :
en supposant
suffisamment important. Ce coefficient est appelé coefficient de
couplage, il est positif.
Dans ce modèle modifié, l’énergie
d’un
moment magnétique
au
cœur du matériau en présence d’un champ
va
alors s’écrire :
La résolution du problème se fait alors de la même manière que ce que nous avons fait pour le paramagnétisme. Seulement ici, le couplage rend la résolution beaucoup plus compliquée… Il convient alors de trouver une approximation du problème.
Ce couplage est d’origine quantique et électrostatique. Si dans un
réseau on considère deux électrons de valence associée à la fonction
d’onde
produit de
fonction d’onde orbitale et
fonction d’onde de spin. Cette fonction d’onde doit être antisymétrique
(
)
alors, si les électrons sont de spin parallèle :
la
densité de probabilité de présence
(
)
s’annule lorsque les électrons sont au même endroit. Au contraire, si
les électrons sont de spin opposé :
la
densité de probabilité de présence
(
) prend
une valeur maximale lorsque les électrons sont au même endroit :
l’énergie d’interaction coulombienne entre ces deux électrons (plutôt
rapprochés) est grande, alors qu’elle était faible pour les électrons de
spins opposés.
Approximation de champ moyen [3]
L’approximation de champ moyen consiste à faire comme si le terme de droite n’était pas soumis aux fluctuations concrètement, on le remplace par sa valeur moyenne avec :
alors,
Dans notre modèle les moments magnétiques plus proches voisins ne
sont pas indépendants, mais l’interaction est ici cachée dans
. Tout
se passe comme si le milieu était paramagnétique avec un champ appliqué
. Nous
pouvons alors reprendre l’équation du paramagnétisme pour l’aimantation
:
sans oublier que :
ce genre d’équations dites d’auto-cohérence s’étudie
graphiquement, on cherche les intersections entre la droite d’équation
et le
graphe de la fonction
\pyimgen{ferro_para_autocoherence}
Tracer l’autre branche.
Résultats
Température de Curie
On constate que, à
l’équation d’auto-cohérence a toujours une solution en
et a,
pour les températures
deux
solutions supplémentaires. Nous pouvons déterminer la température
critique
en
déterminant la pente de
à
l’origine : l’un des développements limités précédents donne :
alors,
Aimantation
Tracer ,
constater la brisure de symétrie.
Tracer pour
montrer les positions de stabilité.
…
Soit projeter des courbes des différentes grandeurs physiques, soit discuter des limites du modèle, soit discuter de la simulation, soit…
Faire la manip !
Pour aller plus loin…
Le paramagnétisme étudié ici est restreint à l’étude de milieux isolants en effet, dans les conducteurs les électrons de conduction se comportent différemment. Le paramagnétisme de Pauli permet de les étudier et tient compte en particulier de leur caractère indiscernable : plutôt que la statistique de Maxwell-Boltzmann on leur applique la statistique de Fermi-Dirac.
Le paramagnétisme et le ferromagnétisme ne constituent pas l’ensemble des types de matériaux. Nous avons évoqué le diamagnétisme, mais il existe aussi l’antiferromagnétisme et le ferrimagnétisme.